Tendances de consommation sur Netflix : en 2023, la plateforme a engrangé 8,8 millions de nouveaux abonnés au troisième trimestre, tandis que 72 % des Français interrogés par Médiamétrie déclaraient avoir binge-watché au moins une série complète en moins d’une semaine. Ces chiffres vertigineux – qui dépassent désormais ceux du pic pandémique de 2020 – confirment que le streaming n’est plus un à-côté, mais le cœur battant de notre culture audiovisuelle. Et derrière chaque minute visionnée se cache une bataille de formats, d’algorithmes et d’usages qui redessine la télévision… à une cadence de cliffhanger.

Netflix, Disney+, Prime Video : la cartographie 2024

Fin 2023, les géants du SVoD totalisaient plus d’1,35 milliard d’abonnements payants dans le monde selon Omdia, un record absolu. Dans ce marché saturé, chaque plateforme affûte sa stratégie :

  • Netflix : 260 millions d’abonnés, un ARPU (revenu moyen par utilisateur) de 16,29 $ aux États-Unis, et une expansion publicitaire dans 12 pays. L’interdiction du partage de comptes, lancée au printemps 2023, a dopé les souscriptions payantes de +15 % en Europe.
  • Disney+ : 150 millions de comptes, mais une perte d’exploitation de 420 millions de dollars au 2ᵉ trimestre 2024. Bob Iger mise sur les franchises Marvel et Star Wars… tout en préparant un pack unique avec Hulu pour réduire la fuite d’utilisateurs (le fameux churn).
  • Prime Video : Amazon ne publie pas de chiffre exact, mais les analystes estiment 215 millions d’utilisateurs actifs. Atout maître : l’effet “gratis” via l’abonnement Prime et des événements sportifs en exclusivité (NFL, Roland-Garros en France).
  • Max (ex-HBO Max) : relancé en mai 2023, il capitalise sur House of the Dragon saison 2 et le poids du catalogue Warner Bros Discovery.

La conséquence ? Une guerre des catalogues où licences historiques et contenus originaux s’achètent à prix d’or. En 2023, Netflix a dépensé 17 milliards de dollars en production, tandis que Disney promet de réduire ses coûts de 3 milliards pour retrouver la rentabilité. D’un côté l’abondance, de l’autre la rationalisation : la concurrence brouille les frontières et nous, spectateurs, jonglons avec les abonnements comme on zappe les chaînes.

Les formats qui cartonnent

  1. Séries limitées (6-8 épisodes) : plus faciles à binge-watcher, elles génèrent des conversations intenses sur X (ex-Twitter).
  2. Documentaires musicaux : de « Taylor Swift: The Eras Tour » (Disney+) à « Reine, Derek » (Netflix France), le genre a bondi de 34 % d’heures visionnées en 2023.
  3. Animation adulte : « Blue Eye Samurai » ou « Invincible » séduisent la génération post-anime.
  4. Télé-réalité feel-good (« Love Is Blind », « L’Agence »), idéale pour le second écran, marque un retour au visionnage collectif, même si c’est via WhatsApp.

Pourquoi binge-watchons-nous autant ?

En 2024, la session moyenne sur Netflix atteint 96 minutes selon NPA Conseil, soit l’équivalent d’un film par jour. Mais qu’est-ce que le binge-watching exactement ?

Le terme désigne le visionnage d’au moins trois épisodes d’affilée. Il est apparu dès 2013 dans le Collins Dictionary, lorsque Netflix lançait la publication saison complète de « House of Cards ». Aujourd’hui, trois facteurs clés l’alimentent :

  • Distribution en masse : l’accès instantané (diffusion en continu) supprime l’attente hebdomadaire.
  • Narration feuilletonnante : cliffhangers, arcs multiples, mini-saisons, tout est pensé pour l’enchaînement.
  • Algorithmes prédictifs : la lecture automatique démarre le prochain épisode en moins de huit secondes ; dur de résister.

D’un côté, cette immersion prolongée permet une compréhension fine des intrigues et une satisfaction immédiate. Mais de l’autre, les chronobiologistes de l’Université de Pennsylvanie notent une baisse moyenne de 22 minutes de sommeil chez les 18-34 ans les lendemains de sessions de plus de trois heures (publication 2023). À la clé : fatigue, baisse de concentration… et retour sur la plateforme pour un shot de dopamine sérielle. Le serpent se mord la queue, tout en générant des heures de visionnage précieuses pour les actionnaires.

Formats courts, docs musicaux et live : la fragmentation des écrans

Le streaming n’est plus seulement horizontal, il est vertical et polyphonique. En 2023, YouTube Shorts a dépassé les 70 milliards de vues quotidiennes, quand TikTok France revendique 23 millions d’utilisateurs actifs mensuels. Les plateformes longue durée s’en inspirent :

  • Netflix lance « Fast Laughs », un flux vertical d’extraits humoristiques.
  • Prime Video teste « Amazon Mini TV » en Inde, format gratuit et mobile first.
  • Disney+ intègre des “extras” interactifs pour ses concerts filmés.

En parallèle, le live fait un retour remarqué. Le show « Love! at the same time » de Chris Rock, diffusé en direct sur Netflix en mars 2023, a réuni plus de 8 millions de spectateurs la première semaine. Twitch, pour sa part, comptabilise 35 milliards d’heures vues en 2023. Le direct crée la rareté, l’événement, la FOMO (« Fear of Missing Out »). Voilà de quoi réconcilier l’instantanéité télévisuelle avec la flexibilité du à-la-demande.

Algorithmes ou curation humaine : qui gagne la bataille de la recommandation ?

L’algorithme Netflix évalue plus de 2 000 “taste communities” par utilisateur. Pourtant, 45 % des abonnés affirment préférer les recommandations… d’un ami ou d’un critique (étude Harris Poll 2024).

Comment expliquer ce paradoxe ?
L’intelligence artificielle propose ce qu’elle sait de nous ; elle rassure. La curation humaine, elle, surprend et ouvre des portes inattendues. En somme, l’algorithme sécurise l’audience, la playlist éditorialisée crée la découverte.

D’un côté, la data booste la fidélité : Netflix annonce que 80 % des heures vues proviennent de suggestions algorithmiques. Mais de l’autre, les playlists artisanales de radios comme FIP ou de newsletters comme « Ketchup & Vodka » (art indie) démontrent un appétit pour le regard subjectif. La vérité est sans doute hybride : un “semi-automatique” où l’humain ajuste la machine, à l’image de l’équipe éditoriale derrière « Top 10 Netflix France ».

Et la transparence ?

En 2023, l’ARCOM (régulateur français) a interpellé les plateformes sur la recommandation équitable d’œuvres européennes. Les prochains mois devraient voir fleurir des tableaux de bord publics, à l’instar du « What We Watched » publié par Netflix en décembre 2023, révélant 93 000 heures de contenus non anglophones consommés. Un pas vers la clarté… ou un simple outil de communication ?


Je referme mon laptop, mais la playlist “Chillwave 2024” tourne encore dans mes AirPods. Toi aussi, tu jongles entre épisodes, shorts et lives ? Raconte-moi tes découvertes, tes insomnies binge-watch, ou la pépite indie que ton algo ignore. La discussion continue : après tout, le streaming n’est pas qu’un flux de données, c’est notre nouvelle agora.