La guerre des catalogues n’a jamais été aussi intense : en 2023, 71 % des nouvelles séries les plus regardées en France étaient issues d’accords d’exclusivités ou de rachat de droits, contre 52 % seulement en 2020. Ce bras de fer à coups de milliards bouleverse la façon dont nous choisissons nos soirées binge-watching. Derrière chaque notification « ajouté à ma liste » se cache un combat stratégique où Disney, Netflix, Prime Video et, depuis juin 2024, Max (ex-HBO Max) rivalisent d’ingéniosité. Spoiler : le spectateur n’est pas toujours le grand gagnant.
Pourquoi la guerre des catalogues explose-t-elle en 2024 ?
D’un côté, l’offre légale de streaming s’est fragmentée : on recense aujourd’hui 11 plateformes principales sur le marché français, contre 5 en 2018. De l’autre, la croissance des abonnements ralentit ; l’Arcom note un taux de pénétration plafonnant à 59 % des foyers au 1ᵉʳ trimestre 2024. Résultat : plus la base d’abonnés stagne, plus les géants misent sur du contenu exclusif pour verrouiller leur public.
• En mars 2024, Disney a déboursé 8,6 milliards de dollars pour récupérer l’intégralité des droits de diffusion de la franchise « Spider-Man », jusque-là partagée avec Sony Pictures.
• Paramount a vendu 15 % de son catalogue historique à Warner Bros. Discovery pour 1,8 milliard, créant la première passerelle officielle entre Paramount+ et Max.
• Netflix, en réponse, a signé un accord stratégique avec Ubisoft pour développer six séries issues de licences jeux vidéo, livraisons étalées de 2025 à 2028.
Ces manœuvres ne sont pas que financières : elles dictent la cartographie culturelle de la décennie.
Un parallèle historique
Pour comprendre, replongeons dans l’âge d’or du câble US des années 90. À l’époque, HBO sécurisait des films en « pay-one window » pour fidéliser ses 15 millions d’abonnés. Aujourd’hui, le même principe s’applique, mais à l’échelle planétaire et avec des budgets centuplés. On pourrait croire à un remake, version 4K HDR et sous-titres multilingues.
Exclusivités et rachats : les chiffres qui pèsent
H3 — Les fusions majeures depuis 2020
• Warner Bros. + Discovery (mai 2021) : valorisation à 43 milliards $.
• Amazon + MGM (mars 2022) : 8,45 milliards $.
• Sony + Crunchyroll (août 2021) : 1,175 milliard $.
H3 — Les conséquences budgétaires
Selon Ampere Analysis, le budget cumulé de production originale a atteint 54 milliards $ en 2023, +12 % vs 2022. Netflix reste leader (17 Mds $), suivi par Disney (11,5) et Amazon (7,8). La compétition se joue autant sur la création de nouvelles IP que sur la rétention de licences patrimoniales — « Le Seigneur des anneaux », « Star Wars », « Harry Potter ».
H3 — La musique, même combat
Spotify a renforcé sa position en 2023 en signant l’exclusivité des podcasts de Trevor Noah et Emma Chamberlain, tandis qu’Apple Music a racheté Primephonic pour monopoliser le classique. La guerre des catalogues streaming dépasse donc la vidéo ; elle touche aussi la radio moderne, les livres audio et jusqu’aux NFT musicaux (oui, ça existe encore… un peu).
Qu’est-ce que cela change pour le spectateur ?
Question fréquente : « Pourquoi dois-je multiplier les abonnements pour voir ma série préférée ? »
Réponse simple : parce que les plateformes parient sur la byzantine segmentation pour maximiser leurs revenus.
- Coût moyen par foyer français : 37,60 € par mois en 2024 (Harris Interactive).
- Temps passé à chercher un programme : 9 minutes par session (Nielsen, janvier 2024).
- Augmentation du téléchargement illégal : +21 % entre 2022 et 2023 (Hadopi), signe que l’éparpillement agace.
D’un côté, la diversité explose ; on peut passer d’un docu-série coréen à un western danois en deux clics. Mais de l’autre, l’effet silo se renforce : chaque plateforme pousse son algorithme, enfermant le spectateur dans une bulle de recommandations.
Binge-watching 2.0
Le fameux « regarde-tout-en-une-nuit » a muté. Netflix teste depuis février 2024 des fenêtres hebdomadaires sur « 3 Body Problem » pour limiter le churn (désabonnement rapide). Disney le faisait déjà sur « The Mandalorian ». Ironie : on revient au rendez-vous linéaire, 60 ans après l’invention du prime time par CBS.
Vers quel modèle demain ?
H3 — D’un côté, l’intégration
Les analystes prédisent un pack « super-bundle » d’ici 2026, combinant plusieurs services en un abonnement à tarif réduit. Apple et Amazon ont l’infrastructure pour cela ; Canal+ l’expérimente avec son offre « Cinéséries & Friends ».
H3 — De l’autre, les plateformes indépendantes
Arte.tv ou Mubi misent sur la curation humaine. Pas de course au volume, mais un éditorial exigeant. Un contre-pied salutaire face à l’infobésité algorithmique.
H3 — Le live : ultime différenciation
Les matchs de l’UEFA Champions League, acquis par Prime Video jusqu’en 2027, ou les concerts live-streamés de Billie Eilish sur TikTok montrent que le direct garde un pouvoir fédérateur. Dans un monde à la demande, l’instantané crée l’événement.
Focus 2024 : l’IA générative
Impossible d’ignorer la vague. Depuis avril 2024, Netflix expérimente la traduction automatique en temps réel pour ses avant-premières à Los Angeles. L’IA pourrait réduire les coûts de localisation de 30 %, mais menace des milliers d’emplois humains. La bataille de demain ne sera plus seulement juridique ou financière ; elle sera aussi technologique et éthique.
Alors, doit-on choisir son camp ?
La guerre des catalogues ressemble à un gigantesque jeu de chaises musicales. À chaque nouvelle fusion, un titre disparaît d’un service pour réapparaître ailleurs, comme « Friends » passé de Netflix à Max en France en juillet 2023. Mon conseil de journaliste-coupe-file : privilégiez les offres sans engagement, surveillez les calendriers de droits et, surtout, partagez vos découvertes hors algorithme. Un bon vieux bouche-à-oreille vaut parfois toutes les recommandations dopées au machine learning.
Je ferme mon appli pour ce soir, mais mon casque reste à portée. Promis, au prochain scroll nocturne, je vous embarque dans les coulisses d’un tournage VR ou d’un docu musical façon « Summer of Soul ». Restez connectés, la partie ne fait que commencer !
